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Les réactions à la mise en vente des premiers billets pour Paris 2024 pourraient faire croire que la billetterie des Jeux olympiques est un attrape-gogo, une machine à exclure le peuple. « Ils nous prennent pour des gogols avec leur slogan de jeux populaires, les places sont réservées aux riches ». Pour éviter les jugements à l’emporte-pièce, un petit rappel des faits chiffrés et des principes économiques de l’émission de billets semble d’utilité publique. Parlons donc siège, coût, et prix. Nous verrons alors que ceux qui payent cher leur place financent les billets à petit montant.
Il ne faut jamais oublier que derrière les prix se nichent des coûts. Les dépenses du Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) s’élèvent à environ 4 milliards d’euros. La réalisation des projets d’infrastructure, grands et petits, qui sont confiés à une structure ad hoc, Solideo, réclame un peu moins. Mais pour simplifier, faisons l’hypothèse qu’elle a une utilité hors des JO. Oublions donc ces dépenses qui n’ont pas besoin d’être recouvrées par la billetterie, les sponsors et les droits télévisuels, les trois sources de recettes du Cojop pour équilibrer ses dépenses.
Admettons aussi pour l’instant que chacune de ces sources participe aux dépenses du Cojop à hauteur de leur contribution à ses recettes totales, soit 31,8 % ou encore 1265 millions d’euros pour la seule billetterie. Avec cette clef de répartition et sachant que 13,4 millions de tickets seront mis en vente, le coût moyen par siège pour un spectacle sportif s’élève ainsi à environ 100 euros. Entendez ici par spectacle sportif, celui auquel donne droit un billet c’est-à-dire assister à une ou des épreuves simultanées, pour une date et un créneau horaire donnés.
Le raisonnement par siège permet de rappeler une particularité des spectacles dans une salle ou dans un stade : le coût du siège est grosso modo le même dans toute l’enceinte. Le fait qu’ils soient plus ou moins larges et confortables n’introduit pas un grand écart. Idem pour le fait qu’ils soient plus ou moins éloignés de la scène et offrent un angle de vue plus ou moins panoramique.
Notez que pour les JO le coût est aussi à peu près le même quelle que soit l’étape de la compétition : il ne coûte pas vraiment plus au Cojop d’organiser la finale du 100 mètres qu’une épreuve de qualification. Les athlètes n’étant pas rémunérés, la présence de vedettes internationales n’occasionne pas de dépenses supplémentaires significatives. L’hétérogénéité des sites où se déroulent les épreuves est finalement la principale cause de variation du coût du siège car ils présentent des jauges variées et occasionnent des dépenses d’exploitation variables.
La valeur d’un siège est en revanche extrêmement différente selon sa localisation dans l’enceinte et selon l’attrait du spectacle. D’où des tarifs très dispersés proposés à la vente des sièges. Ils s’échelonnent entre 25 euros et 980 euros soit un écart de 1 à 40. Rien à voir avec un écart des coûts même s’il était de 1 à 2 entre les bons et mauvais sièges par leur place ou de 1 à 10 entre les différents sites.
Le rapprochement entre les tarifs pratiqués et un coût moyen par siège de 100 euros conduit à observer que des billets ne peuvent être mis en vente à bas prix que si des acheteurs payent au prix fort.
Dit de façon plus précise, une surmarge est prélevée sur les billets à plus de 100 euros pour compenser les marges négatives de la vente de billets de moins de 100 euros. Concrètement, untel peut bénéficier d’un siège à 25 euros car 75 euros sont récupérés par la billetterie du Cojop auprès d’acheteurs plus fortunés.
Plus fortunés ou tout simplement mieux désireux d’assister aux épreuves. On oublie trop souvent que le montant qu’un consommateur est prêt à payer pour un bien, ici un spectacle, dépend aussi de ses préférences. Une personne qui a de petits moyens peut être prête à casser sa tirelire pour assister à une compétition des JO tandis qu’une autre ayant pourtant les moyens ne souhaitera pas mettre un centime ou en tout cas plus de 25 euros dans l’achat d’un billet. L’hétérogénéité des consommateurs s’observe dans les préférences aussi bien que dans les budgets.
Cette vertu d’une billetterie qui combine des petits prix et des prix forts n’est généralement pas perçue comme telle. Assis dans les rangées du haut des extrémités du stade, il est difficile de ne pas jalouser les privilégiés occupant les sièges des premiers rangs du milieu de l’enceinte. Il n’est pas sûr pour autant qu’une tarification uniforme strictement égalitaire remédie au problème.
Imaginez que tous les sièges soient mis en vente au tarif unique de 100 euros après un tirage au sort parmi tous les amateurs de spectacle olympique. Les moins bien placés ne pourront qu’invoquer la malchance mais ils lorgneront peut-être quand même du côté des sièges des plus chanceux. En tout état de cause, cette tarification éliminerait les amateurs à petite bourse, ceux qui auraient été prêts à acheter un billet à 24 euros ou même à 99 euros. Elle comporte aussi le risque de rangées de sièges vides pour les épreuves les moins courues et peut donc entraîner des recettes insuffisantes au Cojop pour couvrir ses coûts.
On peut aussi imaginer un prix uniforme plus faible, voire nul, mais il faut alors faire appel aux finances publiques pour équilibrer les comptes. Ce qui revient à faire payer une partie de l’organisation des Jeux par les contribuables (ou les générations futures à travers la dette). Or il est dit et répété – et finalement semble largement admis –, que les Jeux de Paris 2024 ne doivent pas être subventionnés par de l’argent public.
Les éléments chiffrés précis de la grille tarifaire, en particulier le nombre de sièges offerts dans chaque catégorie de prix, ne sont pas connus. Certaines données ont toutefois été rendues publiques : 10 % des billets à 24 euros et 50 % des billets à moins de 50 euros ; 70 % des billets à moins de 100 euros ; 10 % des billets à plus de 200 euros ; enfin, 0,5 % des billets à plus de 950 euros.
On ne sait pas toujours si ces pourcentages sont établis sur le même total, en particulier s’ils incluent ou non la billetterie pour les épreuves paralympiques, ni quelles inégalités sont larges (c’est-à-dire plus petit ou égal) ou strictes. On peut néanmoins essayer d’en tirer quelques observations.
Regardons au milieu d’abord : la médiane (moitié de billets en dessous et moitié au-dessus) est très inférieure à la moyenne puisqu’elles s’élèvent respectivement à 50 euros contre 100 euros. Dit autrement, au moins la moitié des spectateurs payent un prix inférieur au coût moyen du siège et bénéficient donc du fait que d’autres payent plus cher. Si les 70 % mentionnés plus haut correspondent à une inégalité stricte et au total des places pour les épreuves olympiques, environ deux spectateurs sur trois bénéficient d’un tel transfert, ou subvention implicite.
Regardons les extrêmes ensuite. Cinquante mille spectateurs (en faisant l’hypothèse que le total correspondant au 0,5 % ne concerne que les épreuves olympiques) contribuent à payer 4 % des dépenses totales alors que 10 % (le million de spectateurs qui payent leur siège à 25 euros) contribuent à hauteur de 2 %.
Oui mais ne pourrait-on pas inverser la direction du transfert en disant que les acheteurs de billets à petit prix subventionnent implicitement les acheteurs qui payent leur siège au prix fort ? Les premiers ne contribuent-ils pas, même si c’est pour une part modeste, à la couverture des dépenses du Cojop ? Ceux qui ont les moyens auraient-ils besoin des acheteurs qui n’en ont pas beaucoup ? Non car il est très probable qu’avec une billetterie offrant uniquement des places s’échelonnant de 100 à 950 euros le risque de billets non vendus lié à l’absence éventuelle d’acheteurs pour certaines compétitions serait plus que compensé par le surcroît de recettes. Peut-être des chaises vides mais des caisses mieux remplies.
Un reproche parfois entendu pour dénoncer l’inégalité de la billetterie est que les amateurs fortunés peuvent évincer ceux qui le sont moins des sièges à petits prix. Il est vrai en effet qu’aucune règle n’empêche une personne à haut revenu d’acheter un billet à 24 euros, par exemple. Cependant, une contrainte budgétaire moins forte pousse logiquement vers l’achat de places offrant une meilleure visibilité, donc tarifées à un prix plus élevé. De plus, l’engouement lors de la première vague de mise en vente des places a été tel que les places à 24 ou 50 euros ont vite été épuisées, prises d’assaut par ceux qui ont été appelés en premier par le tirage au sort. La plupart de ceux qui par leurs ressources auraient été prêts à acheter des billets à plus de 100 euros n’ont vite eu pas d’autres choix.
Il faut cependant noter que la vente forcée de 3 spectacles lors de cette première vague a pu conduire des amateurs à fort pouvoir d’achat à se reporter sur les billets les moins chers pour une seconde ou troisième compétition sans intérêt pour eux, peut-être même en prévoyant ne pas y assister du tout.
En outre, le Cojop a prévu une billetterie solidaire à travers les collectivités locales associées aux Jeux. Celles-ci bénéficient d’un accès prioritaire aux places bon marché. Un demi-million de billets à 24 euros leur est réservé (Les Échos, 1er mars 2023), soit le tiers du montant total de cette catégorie tarifaire. Les collectivités sont appelées à redistribuer ces billets aux habitants, « notamment aux enfants et aux jeunes, aux clubs sportifs locaux et aux publics prioritaires ».
De nombreuses collectivités ont commencé à s’organiser. À Lyon par exemple, un appel à manifestation d’intérêt de la mairie a été diffusé aux centres sociaux et éducatifs. Leurs responsables pourront obtenir et attribuer des places dans le cadre de leurs projets et activités. La discrimination tarifaire rejoint ici la discrimination positive.
Parlons pour finir des 4 milliards de téléspectateurs attendus. Nous avons considéré jusque-là qu’il n’y avait pas de transfert implicite entre spectateurs et téléspectateurs puisque nous avons supposé que la billetterie couvre les dépenses du Cojop à proportion de ses recettes. Soit 1265 millions d’euros ; ni plus ni moins.
Vous pourriez vous étonner qu’il puisse y avoir une subvention croisée puisque les téléspectateurs ne payent rien. Oui mais comme il s’agit de transfert implicite et d’analyse économique – une discipline selon laquelle rien n’est jamais gratuit –, on peut avancer que les téléspectateurs à travers leur paire d’yeux de consommateurs exposés aux annonces et marques rémunèrent in fine les droits télévisuels et les sponsors. Soit en divisant le nombre de téléspectateurs par le montant des recettes du Cojop obtenues auprès des diffuseurs et des sponsors environ 1 euro par téléspectateur en moyenne.
Se pourrait-il alors que les spectateurs contribuent au coût total du Cojop pour une proportion inférieure à leur part dans les recettes ? Ou l’inverse, c’est-à-dire que la subvention croisée aille des spectateurs vers les téléspectateurs ? Les deux sens sont en effet possibles. Il m’est difficile de répondre car je ne sais pas comment le montant des recettes à rechercher entre billetterie, sponsors et droits télévisuels a été décidé par le Cojop.
Un élément pourrait toutefois laisser penser que les spectateurs sont favorisés. Il est en effet communément admis que l’attractivité des téléspectateurs pour une compétition sportive baisse quand elle se joue devant un public clairsemé. On serait en présence de ce que les économistes appellent un effet de réseau indirect : la satisfaction du téléspectateur dépendrait du nombre de spectateurs et croîtrait lorsqu’il croît.
Cela semble avoir été confirmé lors de l’épidémie du SARS-CoV-2. N’a-t-on pas vu apparaître dans les travées des stades, de football en particulier, des spectateurs en carton poussant des clameurs enregistrées pour faire comme si ? Mieux le stade est rempli, plus le consentement à payer des diffuseurs et sponsors est élevé. Cela devrait logiquement conduire à baisser la contribution des spectateurs aux coûts de l’organisation des Jeux.
En résumé, l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques passe par des dépenses de plusieurs milliards dont la plus grande partie est recouvrée auprès des téléspectateurs-consommateurs qui seront exposés aux annonces des diffuseurs et aux marques des sponsors. La partie restante est recouvrée auprès des spectateurs via la billetterie avec des tarifs qui s’échelonnent de 24 à 980 euros et avec la moitié des billets mis en vente à 50 euros ou moins.
En estimant à 100 euros le coût moyen du siège pour l’organisateur qu’il a à recouvrer par la vente des billets, il apparaît qu’environ deux tiers des spectateurs payent un prix en deçà. Ils bénéficient tout simplement d’un transfert du tiers restant de spectateurs qui payent leurs places au-dessus du coût.
Dit autrement, une surmarge est appliquée sur les billets à plus de 100 euros pour compenser les marges négatives des billets vendus à moins. C’est grâce à cette subvention implicite que le Cojop peut offrir des millions de places à 24 et 50 euros. Peut-on dès lors affirmer sans broncher que sa volonté d’organiser des Jeux populaires serait battue en brèche par une billetterie qu’il aurait réservée aux riches ?
François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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